au bilan des incomplétudes j’ai pas dit l’entièreté de ce qui dans la vie m’avait manqué
le courage la patience l’opiniâtreté oui l’assurance un plein d’essence un réveil qui sonne un café qui réveille un pain au chocolat je prends pas de sucre merci même mes défauts me font défaut
– comment qualifier vos qualités ?
l’urgence (j’avais mis du temps à répondre on m’écoutait déjà plus trop)
et la motivité (c’est un peu différent de la motivation c’est plus proche de l’émotivité mais le résultat est le même)
et puis le souci du bordel bien fait le sens du rien je cours plutôt bien mais pas en ligne droite et puis des fois c’est pas pareil donc l’imprévisiblité
et la visibilité (il y a tant de trucs qui me traversent plutôt que de me contourner)
et l’habileté
et labile avec ça
– qu’est-ce que vous faites là ?
j’ai travaillé de travers
j’ai bu un verre au travail on a relevé l’anecdote mais on m’a laissé par terre
j’ai titubé j’étais plus titulaire on m’a dit la prochaine fois que je t’y prends c’était pas des paroles en l’air
– votre travail, vous l’aimiez ?
quand je me réveillais je baillais la vie m’embrassait je l’ai jamais trouvée très professionnelle
je travaillais et dors-dînais mais d’ordinaire je jeûnais jusqu’à plus me voir vieillir
plus jeune j’avais les nerfs mais bientôt j’ai plus eu que les os
je variais je déraillais et sans entrer dans les détails et sans énumérer les averses quand même ça me travaillait
je valais rien qui rêve je tergiversais mais le vertige m’entaillait
je ravitaillais toutes les vertèbres histoire de tenir debout même à dormir pendu par les entrailles du qui c’est qui te paye
j’avais lu dans un bonbon que la vérité réveille mais celui qui ment songe j’ai piqué quelques sommes et choisi mon lit de camp
– soyez concret
j’ai travaillé de travers on m’a viré
j’ai fait demi-tour y avait rien de l’autre côté j’ai refait demi-tour pour vérifier y avait rien non plus
j’étais bien barré d’ailleurs on m’a rayé des listes quel délice j’ai avalé de travers et j’ai fait ma salive pour déglutir j’ai pris l’avion en vol par-terre
valait mieux pas traîner les gens s’asseyaient sur mes genoux tellement ils avaient hâte de récupérer ma place au milieu du néant
– on veut des noms
j’ai travaillé pour Machin pour Truc et pour Bidule parfois pour Machin-Bidule et parfois Truc-Muche ça dépend du contexte économique quand ils ont plus d’argent ils s’en donnent entre eux
j’ai aussi fait deux trois extras pour Tartampion des remplacements de fantômes chez Chose des heures sup chez Ta Mère des expertises chez Moins-Que-Rien et une fois par mois j’allais voir Vatfer pour les supplier de m’embaucher ça a jamais marché il paraît que là-bas on est mieux traité que les cadavres c’est Skisdi qui le dit
on m’a muté chez les Mutants promu à Koudpié O.Q. rétrogradé à Vazitrim pieds-poings-lié à Souffrensilence expatrié à Pertoilnor saisi-ta-chance Oukifémoche et finalement délocalisé pour de bon à Watt Zefok
je parlais pas la langue mais plutôt le cheveu z’on m’a propozé la retraite antizipée z’avais 20 ans z’ai perdu mes dents
d’où que je me retrouve entre vos mains de fée Skitpley après avoir vu trop de fées Tavi qu’ont jamais aidé personne
– qu’est-ce qu’on peut faire pour vous ?
j’ai pas vraiment d’exigence j’ai bien vu que derrière les mains tendues la plupart du temps y a pas de bras
t’façon mon salaire à la fin s’écrivait en chiffres romains je touchais des X et des V c’est pas pratique au supermarché
je me suis serré la ceinture ça m’a coupé en deux ma tête est devenue plate je pouvais m’insérer dans l’autoradio j’entendais des chansons de variété le top 50 moins 10 récession oblige
je savais même plus mon nom faut croire que c’était Ducon
alors voilà si vous entendez parler d’une saloperie ben n’hésitez pas c’est pour moi
– c’est noté, on vous rappellera