on peut pas dire que je brillais en Bouriatie
quand j’ai su qu’existait sur terre Kolia l’immense
et c’est pas rien… ça frit les yeux
triture le foie et fout les nerfs en pelote basque
de voir émerger ce colosse des steppes
qui sans préambule a planté
son regard bleu acier dans ma peau tendre
– t’es qui, toi ?
– j’en sais rien
– tu fais quoi par ici ?
– j’essaie de t’éviter
– c’est raté, t’es à moi
j’étais à lui
j’étais l’ouïe sage
le jeunot conciliant dont il rêvait
depuis la perestroïka
pour qu’enfin coule à flots
le roman flou de ses vies successives
chapitre 1, accrochez-vous :
parachutiste dans l’armée rouge
chapitre 2 : boxer professionnel
chapitre 10 : comédien underground
et c’est pas tout…
il comptait ajouter maintenant :
moine bouddhiste !
champion qu’il était du virage
et de la formule 1 version Lada
dans les nids-de-poule
ah ! quel plaisir ce ne fut pas
de le voir embrasser nos tombes si vite
d’une main guidant le volant par périodes
de l’autre agile improvisant
un rock ardu à la bière chaude,
le tout sans pause ni pitié malvenue
pour les rares stops
ou piétons malmenés un peu
jusqu’à ce dernier tête à queue
dans le brouillard
et la vision flottant sur encens doux
du Datsan d’Ivolguinsk impressionnant…
lieu grand de foi et d’excellence
où il ne comptait résider qu’un temps
c’est-à-dire seulement jusqu’à la mort
car il serait, après ça, cosmonaute
ou ministre du budget…
pour l’heure, il fallait courtiser les bonzes
c’était chose fine
et plus massive à soulever, pour lui,
que la fameuse tête de Lénine
dite la plus grosse du monde,
celle que des communistes bourrés
ou des extraterrestres futés ?…
ont vouée à l’éternité perplexe
au milieu de la capitale bouriate : Oulan Oude…
les robes orange tremblaient à notre abord,
vidées pour l’occasion de leurs deux couilles
et truffées d’oisillons craintifs assez peu disposés
à le voir s’établir ici, Kolia l’immense…
mais tout sourire pourtant ! tout faux !
amenant gobelets dorés et thé bien chaud…
le bouddhiste d’exception
a beau planer au-dessus de son corps
et des pâles volontés humaines,
il n’a pas pour projet non plus
de se faire concasser la nuque
et jeter l’abdomen tranché
à un ours de la taïga…
alors que moi…
moi je l’aurais remis en place, Kolia l’immense !
j’allais le faire, je le promets…
j’ai même failli…
mais j’ai pris froid…
en tee-shirt fin (même Noir Désir)
en Sibérie
on vit des choses…
au bord sanglant de faire tonner
dans la quiétude du monastère
un ouragan de gnons virils…
je me suis agrippé à mon karma, bordel…
j’ai prié vif en russe, en kurde,
en japonais de la banlieue… rien n’y a fait !
je n’ai pu m’empêcher de maculer
de ma morve la plus noble
placide Bouddha…
pauvre de moi…
les yeux de Kolia sont entrés
dans une phase meurtrière !
plus rauque, la voix, que Johnny Cash
et Tom Waits confondus,
il m’a dit sans exclamation :
– toi, tu t’es enrhumé parce que t’es faible
si demain à midi je te vois faible encore
je fais de mes poings deux maillets
et je t’enfonce jusqu’à mi-corps
comme un piquet dans la rocaille
me croirez-vous si je vous dis
que le lendemain matin j’étais guéri ?
plus un reniflement, un seul !
après une nuit entière passée
à renifler en tremblotant…
pareil miracle étant à relier sans doute
à la boîte d’Actifed musclé que j’avais
jugé bon d’ingurgiter jusqu’au carton…
mais le cartésianisme n’empêche-t-il pas
de penser… autre chose ?
après tout… merde à la pharmaceutique !
mes globules blancs ont très bien pu
se surpasser d’eux-mêmes ! défiés qu’ils l’étaient…
et même fouettés ! pour ne pas dire :
éperonnés à la bouriate !
ce serait bien de proposer
à la poésie qui s’endort
un séjour dans la steppe d’urgence
aux côtés de Kolia l’immense